Au travers de son article paru dans le magazine Infos Yoga N°106 de mars/avril 2016, Serge Gastineau, fondateur avec sa femme Bernadette, de l’Atelier de Yoga sur Nantes nous fait partager sa relation du yoga à la mort. Omyoga vous laisse découvrir la pensée de Serge sur le sujet du Yoga et la mort. Qu’apporte le yoga face à la mort ? Quelle force donne le yoga ? Le yoga, modifie-t-il nos réactions, notre comportement ou notre mode de pensée ? Le yoga est-il une aide ?
Le Yoga et la Mort
Je dis souvent à mes élèves que les deux postures les plus difficiles en yoga sont Tadasana et Savasana : la posture debout et la posture allongée. Toutes les autres postures nous préparent à ces deux postures. A la réflexion, il me semble que la posture du cadavre est encore plus délicate à appréhender.
Notre rapport à la mort en occident est souvent tellement difficile ! Nous ne savons rien de la mort de ce passage non encore effectué, de cet état apparent de cadavre, de corps vidé de la vie. L’accompagnement de proches nous enseigne, certes, mais ne nous donne pas les clefs mystérieuses. Ils nous font le don de la manière dont ils quittent leur corps : attente, choix, décision, apaisement, sérénité pour ce que j’ai rencontré ! Cela est précieux.
A la mort de Bernadette Gastineau, ma collègue, mon amie, ma femme, mon initiatrice, avec laquelle j’ai partagé quarante ans d’existence, j’ai été tellement surpris de réactions de proches, d’élèves ! Je comprends bien cette question apparue chez les élèves : Pourquoi, Bernadette qui avait une vie si équilibrée, une alimentation si saine, et qui pratiquait le yoga quotidiennement en plus de l’enseigner depuis plus de trente ans, pourquoi, donc est-elle touchée par la maladie, par le cancer. Comme si le yoga était une assurance-vie, comme si le yoga effaçait toute une histoire, un karma dont chacun essaie de réduire les traces, et dont nous ne savons rien, ou si peu chez l’autre ! Illusions qui nous font oublier la fragilité fondamentale, l’ouverture, l’accueil de l’inconnu, la vulnérabilité.
Pourtant, une certitude : sans le yoga, la maladie n’aurait surement pas été vécue de la même manière.
Ne rien désirer d’autre que ce que l’on vit. Dans des moments de grande souffrance, désirer autre chose, désirer que ça s’arrête, c’est une source de souffrance. Traverser la douleur, la regarder en face et respirer. S’ouvrir à ce qui est, ne pas chercher le combat mais le vivre quand il se présente : combat intérieur, regarder l’adversaire bien en face et ne plus fuir.
Le sang : me laver
Le feu : me brûler mes vieilles mémoires
La chimie : me désintoxiquer de mes peurs de m’empoisonner
Le manque d’air : chercher au plus profond un souffle divin
Ne plus pouvoir parler : aller vers une parole épurée, silencieuse
Ne plus manger : quitter mes pulsions d’ingérer, de manger ce qui se présente sans discernement, recherche d’une nourriture divine
La laideur de mon visage : quitter l’image et aller vers la beauté intérieure
Avoir besoin de l’autre : quitter la toute puissance et repérer une nouvelle force
Voilà ce que Bernadette écrivait alors qu’elle venait de subir une ablation des deux tiers de sa langue, et pendant la radiothérapie et chimiothérapie qu’elle avait décidé d’accepter et de vivre.
Pour ma part, une autre certitude : sans le yoga, je n’aurais pas vécu cette mort de la même manière.
C’est de cela dont je veux témoigner dans ces quelques mots car je ne me reconnais pas dans les étapes du deuil que je suis sensé traverser. Dire comme l’écclésiaste que tout est fragile, que tout passe, que tout meurt, mais que notre part est de danser dans cette ronde si fragile et si belle. Danser sans s’accrocher, sans résister, danser avec légèreté, ne pas mener un combat, mais accueillir !
Voici quelques réflexions déposées au fil des mois.
Aussi étonnant que cela puisse paraître et j’en suis moi-même surpris, je ne suis pas triste, mais seulement très ému. Je suis baigné, enveloppé dans un Amour immense qui distingue l’Amour de l’attachement. J’ai l’impression de transpirer cet Amour si particulier et d’avoir envie de le partager. Je suis parfois rempli d’émotions, je rejette la nostalgie qui m’alourdirait, je le sens.
Je jouis de cette présence absence de Bernadette.
Je sais que la vie ne s’arrête pas à la mort et je n’éprouve pas de chagrin. Ce qui est difficile parfois, c’est d’entrevoir dans le regard des personnes croisées, cette lueur d’inquiétude, ce questionnement qui transparaît : comment vas-tu ? Comment ne pas se projeter dans le deuil de l’autre ?
Un peu comme si j’avais, moi, à remonter le moral de l’autre.
Ce qui est réjouissant, c’est de ne pas avoir d’angoisse de solitude, de prise en charge… et de n’avoir donc rien sur quoi pleurer.
Effectivement, le chemin parcouru avec Bernadette a été pour moi comme une initiation réciproque, c’est pourquoi la mort brutale (15 jours après une rémission de deux ans) de Bernadette, j’ai presque honte de le dire, a créé un manque certain mais en même temps une joie du chemin accompli, une joie de l’avoir accompagnée jusqu’au bout, et cette joie m’accompagne chaque jour quand je continue à transmettre ce que nous avons débroussaillé ensemble et ce qu’elle a révélé en moi par sa recherche. Je me sens investi d’une responsabilité particulière : continuer, approfondir encore le travail que nous avons commencé ensemble.
Cette phrase touchante de ceux qui connaissaient Bernadette, et qui m’approchent plein de sympathie et d’attention : alors, comment vas-tu ? Tu remontes ? Tu arrives à faire face ? Je vais bien, je ne remonte pas car je ne ressens pas que je sois descendu, je ne fais pas face, je vis ! Toutes ces questions, je les ai moi-même posées avec anxiété, parfois avec un certain malaise, souvent maladroitement, face à ceux qui viennent d’être confrontés à la mort d’un être cher. Je déteste ces mots édulcorés : décédé, perdu qui escamotent la réalité de la mort. J’ai du mal à comprendre ces questions : comment appréhendes-tu ta première rentrée seul ? Vous allez lui rendre hommage ? Non, ça n’est pas ma première rentrée seul sans Bernadette, et ça n’est pas non plus parce déjà l’an dernier, elle se remettait doucement au travail. Je fais seulement ma rentrée, c’est ma vie. Je ne me suis jamais senti atteint dans mon intégrité, ça ne mettait pas en péril ma vie. J’avais déjà senti cela à la mort de mes parents. Etais-je devenu insensible ? Je ne crois pas, j’avais facilement la larme à l’oeil mais je sentais une force en moi qui n’était pas altérée.
Le seul manque essentiel, la tendresse partagée, le contact physique, pas la sexualité, mais l’intime de la relation ! Et même cela est faux car l’intimité de l’entité couple demeure. Cette intimité des corps demeure, et ce n’est pas de l’imaginaire, mais du ressenti toujours présent.
Quant quelqu’un me parle de la date de la mort et de l’anniversaire de cette mort, et compte les jours, je suis toujours surpris car je ne compte pas les jours. Bernadette est morte il y a mille ans, ou demain, mais elle est vivante car la présence et le souvenir sont intemporels.
Je pense que même si l’on divorce, même si l’amour se transforme en haine du point de vue de notre lecture habituelle, de nos formes pensées, de nos Vrittis, personne ne peut effacer cette rencontre que la vie nous a permis et dont le but ne nous est pas encore perceptible.
Nons, je ne fais pas avec, comme on dit dans le discours habituel, je vis tout simplement.
Et il me reste à expérimenter encore et encore Savasana et à vivre pleinement Tadasana pour reconnaître cette énergie qui me fait tenir debout !
Serge Gastineau – Auteur
« Merci Serge de ce bel écrit et de ta confiance pour m’avoir permis de l’éditer sur ce support qu’est le blog de Omyoga. Cet espace de communication sur la toile du web, je le souhaite ouvert à tous dans la libre expression.
Je te souhaite une très belle continuation et te dis à très bientôt,